Anne Berest vit une des périodes les plus douloureuses de son existence ; elle est séparée du père de sa fille et ne croit plus guère à l’amour, qui contrairement à l'amitié, ne fait que nous traverser nous dit-elle, mais ne nous construit pas profondément. Alors qu’elle est plongée dans l’écriture de son troisième roman, Denis Westhoff, le fils de Françoise Sagan, la contacte pour lui proposer d’écrire un livre sur sa mère. Pour les dix ans de sa mort, pour qu’on se souvienne de ce qu’à représenté la sortie de « Bonjour tristesse » dans la société de 1954, il y a soixante ans. Pour parler de Françoise, avant le grand basculement de sa vie lorsque paraîtra ce premier roman, qui connaîtra un immense succès et qui transformera le visage de cette mineure anonyme en un véritable phénomène de société, avant qu'elle n'entre dans le monde de la célébrité, avant d’être celle qui sera adulée et détestée à la fois.
« Enfiler la pensée de Françoise Sagan comme des bas de soie – me revêtir de sa vie pour oublier la mienne. »
Anne Berest accepte d’autant plus volontiers que l’écriture de ce livre, entre roman, biographie et autofiction, lui offrira l’occasion de noyer son chagrin dans le travail, dans la lecture de toutes les biographies, romans et interviews possibles. En mettant l’accent sur les amitiés de Françoise, et non sur ses histoires d’amour, parce que ce n’est pas le bon moment pour Anne Berest, qui n’y croit plus guère.
Nous retrouvons donc toutes les étapes de la vie de Françoise Quoirez en cette année 1954 : l’écriture du roman en six semaines à peine, l’été précédent, aux côtés de son père, l’homme idéal entre tous aux yeux de Françoise. La jeune fille au cours Hattemer, un lycée expérimental privé pour enfant « à part », comme elle qui s’était fait renvoyer de toutes les institutions religieuses possibles. L’appartement haussmannien de quartier chic de la plaine Monceau des parents. La petite fille gâtée, la vagabonde, la menteuse. Françoise, qui n’a jamais eu peur de rien, dira son fils à son propos. Et Anne Berest qui note : « apprendre à ma fille qu’il ne faut avoir peur que d’une seule chose, de la peur. ». Les grandes amitiés, dont celle de Florence Malraux, son amie de toute une vie. Les artistes de l’époque, Cocteau, le jeune Pierre Boulez, Brigitte Bardot. Mais aussi le Rapport Kinsey et la nouvelle approche de la sexologie féminine, sans oublier l’abbé Pierre. La recherche d’un éditeur (onze jours d’attente), la fiche de lecture du premier lecteur François Le Gris de la maison d’Édition de René Julliard, l’entretien avec son éditeur, la recherche de son nom de plume, la date de sortie de son roman et pour finir la dépossession de son livre et de sa vie qui commence après la parution.
« C’est qu’il y a, dans tout combat mené, dans tout travail achevé, dans toute victoire, quelque choses qu’il faut accepter de perdre. »
Une rencontre enfin, entre deux femmes écrivains, l’écriture comme ciment d’une amitié qui n’a que faire de la différence d’âge ou de la mort, et une Françoise Sagan la meilleure consolatrice qui soit pour cette jeune femme en rupture.
« Sagan 1954 » donne furieusement envie de relire le premier roman de Françoise Sagan. Mais c’est aussi une première approche d’un écrivain que je ne connaissais pas, Anne Berest, une rencontre pleine de promesses et deux romans qu’il faut que je découvre à mon tour, « La fille de son père » et « Les patriarches », parus respectivement en 2010 et 2012.
Je terminerai ce billet en lui laissant une dernière fois la parole, lorsqu’elle nous parle de Françoise :
« Françoise Quoirez observe les gestes de Françoise Sagan qui fume, la féminité d’un contour de poignet, la façon de lever le menton pour porter le bout du filtre à ses lèvres, en clignant un peu les yeux comme les cils en plastique des poupées baigneurs lorsqu’on les allonge. »
Merci à l'opération Masse Critique de Babelio et à la maison d'Edition Stock pour l'envoi de ce roman.
belle critique. je l'ai reçu aussi via masse critique et c'est un régal pour l'instant ...
RépondreSupprimercomme j'aime beaucoup F. SAGAN je pense que je ne serai pas déçue...
Son seul défaut est de se lire trop vite ;-)
RépondreSupprimerTrès bonne lecture !