lundi 16 décembre 2019

Rendez-vous à Bray d'André Delvaux

Première guerre mondiale. Julien (Mathieu Carrière),  jeune musicien luxembourgeois subsistant tant bien que mal à Paris en tant que critique musical dans un journal, reçoit un télégramme de son ami français, mobilisé dans l'aviation.  Ce dernier l'invite à le rejoindre dans sa propriété familiale de Bray, le temps d'une permission. Mais lorsque Julien parvient à la maison isolée de Jacques (Roger Van Hool), à l'orée de la forêt, ce  n'est pas son ami qui le reçoit mais une mystérieuse femme (Anna Karina), dont il ne sait si elle est une servante, une compagne ou une parente de Jacques. Commence une longue attente... 

L'adaptation d'une nouvelle de Julien Gracq (Le roi Cophetua) par André Delvaux permet à ce dernier de nous offrir un film qui retient toute notre attention de par l'atmosphère qui s'en dégage, aux frontières du réel et de l'imaginaire, oscillant entre les souvenirs du passé, l'attente et l'appréhension du présent et des scènes oniriques dont on ne sait si elles appartiennent aux songes ou aux fantasmes d'un homme étranger et comme abandonné.  Une amitié obscure, un rendez-vous manqué et une rencontre avec une mystérieuse inconnue, avec tout ce que cela comporte de solitude, d'attirance et de questionnement. Cette ambiance comme endeuillée fait immanquablement penser à La chambre verte de François Truffaut, même s'il possède sa propre patine, par la présence de cette femme sphinx  aussi belle et sensuelle qu'éthérée et énigmatique, tel un fantôme qui hante les lieux.  



La photographie de Ghislain Cloquet, les décors présentés comme de véritables natures mortes, le soin apporté aux  éclairages, la nostalgie et la mélancolie des lieux et des personnages, l'importance de la musique, l'ambiance funèbre et la complexité des relations entre les personnages font de ce film une belle réussite, aussi bien sur le plan formel que narratif. Pour peu que vous soyez sensibles à ce genre de film, bien évidemment.

J'ai aimé la référence à la première adaptation cinématographique de Fantômas par Louis Feuillade, via l'affiche du film (1913).  Car il y a bien quelque chose d'inquiétant et d'insaisissable dans Rendez-vous à Bray d'André Delvaux. 



J'ai pensé également aux obsessions oniriques du peintre surréaliste Paul Delvaux, à ces femmes sentinelles dans l'attente, statuaires, figées, froides, impassibles parmi les ruines désertées des monuments antiques, telles les gardiennes de sanctuaires ou les prêtresses de temples qui ne sont plus, mais qui ont le devoir de défendre et d'honorer les lieux de leur présence jusqu'à leur mort.

Paul Delvaux (1897-1994), Paysage avec des lanternes, 1958
Paul Delvaux (1897-1994),  Le Temple, 1949
Paul Delvaux, L'attente, 1948

L'irruption de l'étrange dans la réalité de ce film singulier laisse également une grande liberté d'interprétation aux spectateurs. Rendez-vous à Bray d'André Delvaux a obtenu le prix Louis-Delluc ainsi que le grand prix du festival de Chicago. 


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9 commentaires:

  1. je connais peu les rares films d'André Delvaux. La référence à Fantomas est très intéressante. Et j'aime beaucoup La chambre verte. Je n'ai vu que L'oeuvre au noir. Bonne journée.

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    1. La filmographie d'André Delvaux n'est pas très longue et il reste bien trop méconnu aujourd'hui, alors que c'est un réalisateur de grand talent à l’œuvre singulière et très personnelle, ce que j'apprécie beaucoup. De lui, j'ai aussi vu son premier long métrage, L'Homme au crâne rasé, qui est aussi très spécial. Je vais probablement le revoir (je l'ai en DVD) et en parler plus longuement. Et je vais continuer à explorer sa filmographie. Parce que j'aime bien aussi parler de belles oeuvres qu'on a un peu oubliées, pour toutes sortes de raisons mais surtout de mauvaises raisons. Merci de ton passage, eeguab :)

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  2. J'aimerais bien le voir (je n'ai rien vu de Delvaux) et ta présentation m'en donne encore plus envie. Et puis Anna Carina : quel visage. Parfaite pour une adaptation de Gracq.

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    1. Je crois que tu apprécieras ses films, du moins L’œuvre au noir et Rendez-vous à Bray. Je connais très mal Anna Karina mais je l'ai trouvé très bien dans ce film. Parfaite pour ce rôle, effectivement ! Je suis curieuse de découvrir prochainement "Un soir, un train", avec Yves Montand et Anouk Aimée.

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  3. Oui, pardon pour la typo, Anna Karina avec un K évidemment. :( Elle est peut-être ce qu'il y a de mieux chez Godard.

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    1. Je la connais mal aussi parce que je crois bien que je n'ai vu aucun film de Godard. Elle est également présente dans L’œuvre au noir de Delvaux. J'aime beaucoup Delvaux car on sent vraiment son amour pour la peinture, dans le choix des plans, cadres, couleurs... un régal.

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  4. Voilà un film qui donne envie qu'on s'y égare, comme dans les tableaux de Paul Delvaux. Merci pour cette découverte.

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  5. Belle et heureuse année 2021 si tu me lis. ;-)

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    1. Merci Ronnie, j'en ai profité pour te souhaiter une bonne année sur ton blog :-)

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