jeudi 5 juillet 2018

Le chevalier Des Touches de Jules Barbey d'Aurevilly


Extrait du premier chapitre, Trois siècles dans un petit coin 

« C’était un vieux appartement comme on n’en voit guère plus, même en province, et d’ailleurs tout à fait en harmonie avec le groupe qui, pour le moment, s’y trouvait. Le nid était digne des oiseaux. A eux tous, ces vieillards réunis autour de cette cheminée formaient trois siècles et demi, et il est probable que les lambris qui les abritaient avaient vu naître chacun d’eux. Ces lambris en grisailles, encadrés et relevés par des baguettes d’or noircies et, par place, écaillées, n’avaient, pour tout ornement de leur fond monotone que des portraits de famille sur lesquels la brume du temps avait passé. » 

Mon avis


Jules Barbey d’Aurevilly, qui voulait être le Walter Scott de la Normandie, s’est inspiré d’épisodes réels de la Chouannerie normande pour écrire son roman. S’agit-il pour autant d’un roman historique ? Pas vraiment, tant le récit mélange allégrement les genres, allant du roman d’aventures au conte, en passant par la romance, le pittoresque, l’épopée, le drame ou la tragédie. Le tout sous la forme d’un récit enchâssé qui brouille encore un peu plus la continuité du récit, tant j’ai eu le sentiment que les différents genres s'inhibaient plus qu’ils ne se renforçaient, donnant lieu finalement à un récit que je n’ai fait que survoler à distance sans jamais m’en emparer pleinement. La présentation des personnages, très typés et sans psychologie aucune, a contribué au fait que ce roman a finalement suscité chez moi un intérêt modéré. Disons-le tout net, mes attentes ne furent pas récompensées, d’autant plus que le titre est assez trompeur : le héros qui s’en réfère (le chevalier Des Touches, au demeurant bien peu sympathique) en cache finalement un autre (M. Jacques, le pendant romantique du premier), tout en étant aussi peu développé l’un que l’autre. 

Un court roman qui n’est autre qu’un retour dans le passé par l’entremise de récits écoutés pendant l’enfance, dont celui de l’enlèvement de Jacques Destouches - jeune agent de liaison entre les insurgés royalistes et les émigrés, condamné à mort et incarcéré dans la prison de Coutances - par un groupe de Chouans. Un récit qui est aussi un bel hommage à la fidélité et à la bravoure des Chouans, mais qui se révèle finalement extrêmement mélancolique et désenchanté. Ce en quoi nous reconnaissons la patte habituelle de Jules Barbey d’Aurevilly, qui aime à recréer le passé disparu sur un ton empreint de nostalgie et de désillusions. 

En conclusion, ma lecture ne fut pas aussi plaisante que je l’espérais mais il est fort possible qu’il vieillisse mieux dans mes souvenirs. Seul le temps me le dira. En attendant, n’hésitez pas à découvrir l’auteur en lisant L’ensorcelée ou le recueil de nouvelles Les diaboliques, ou encore Une vieille maîtresse, que je vous conseille plus volontiers. 



Ce roman fut dédié au père de l’auteur, très attaché à la religion catholique et à la monarchie. Une jolie dédicace du romancier des souvenirs habités des choses mortes et révolues, que je ne résiste pas à vous citer :



À MON PÈRE





Que de raisons, mon père, pour Vous dédier ce livre qui Vous rappellera tant de choses dont Vous avez gardé la religion dans votre cœur ! Vous en avez connu l’un des héros, et probablement Vous eussiez partagé son héroïsme et celui de ses onze Compagnons d’armes, si Vous aviez eu sur la tête quelques années de plus au moment où l’action de ce drame de guerre civile s’accomplissait ! Mais alors Vous n’étiez qu’un enfant, ― l’enfant dont le charmant portrait orne encore la chambre bleue de ma grand’mère, et qu’elle nous montrait, à mes frères et à moi, dans notre enfance, du doigt levé de sa belle main, quand elle nous engageait à Vous ressembler.
Ah ! certainement, c’est ce que j’aurais fait de mieux, mon père ! Vous avez passé Votre noble vie comme le Pater familias antique, maître chez Vous, dans un loisir plein de dignité, fidèle à des opinions qui ne triomphaient pas, le chien du fusil abattu sur le bassinet, parce que la guerre des Chouans s’était éteinte dans la splendeur militaire de l’Empire et sous la gloire de Napoléon. Je n’ai pas eu cette calme et forte destinée. Au lieu de rester ainsi que Vous, planté et solide comme un chêne dans la terre natale, je m’en suis allé au loin, tête inquiète, courant follement après ce vent, dont parle l’Écriture, et qui passe, hélas ! à travers les doigts de la main de l’homme, également partout ! Et c’est de loin encore que je Vous envoie ce livre qui Vous rappellera, quand Vous le lirez, des contemporains et des compatriotes infortunés auxquels le Roman, par ma main, restitue aujourd’hui leur page d’histoire.
Votre respectueux et affectionné fils.
Jules Barbey d’Aurevilly.
 


J'ai eu le plaisir de faire cette lecture en commun avec Ingannmic : son avis, nettement plus enthousiaste que le mien, est ICI.

11 commentaires:

  1. Je te rejoins sur pas mal de points finalement : le mélange des genres -sauf que ça ne m'a pas gênée, au contraire-, l'aspect désenchanté, le fait que ce Destouches n'inspire guère, en effet, la sympathie, mais il m'a bien plu. J'ai aimé le ton, et même cet aspect caricatural des héros, qui donne au récit des allures de conte, par moments..

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    1. J'aime beaucoup le mélange des genres en général, mais dans ce roman, je trouvais que cela ne s'agençait pas très bien. Du coup, je suis restée continuellement à distance. Pour le reste, on se rejoint, en effet, y compris dans l'aspect conte.

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  2. Ce qu'on appelle avoir le sens de la description, pour l'extrait que tu cites en ouverture. Je me souviens de ma lecture des Diaboliques, pourtant pas très motivée pour celui-ci. En revanche, je note ton conseil " Une vieille maitresse "

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    1. "Une vieille maîtresse" est un roman de ses débuts, "L’ensorcelée" est un roman plus tardif mais plus abouti. Si tu ne comptes lire qu’un seul roman de l’auteur, je te conseille plutôt le deuxième, si tu as envie de découvrir l’auteur « crescendo », alors tu peux commencer par "Une vieille maîtresse". Et j’ai encore une autre proposition : si tu le souhaites, tu peux participer à notre LC pour « Un prêtre marié », avec Ingannmic. Parution du billet le 15 octobre 😊

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  3. ( Six-Quatre vient de m'arriver. Je pense qu'il va m'occuper la deuxième quinzaine de juillet )

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    1. Super ! Je peux le commencer à cette même période, cela me donne le temps de terminer mes livres en cours. Je suis toujours partante pour une ou plusieurs LC romans japonais ou auteurs japonais, je me suis déjà procurée Silence de Shûsaku Endô (il est court, il se lira vite). Tiens-moi au courant.

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    2. Rectification : il fait tout de même un peu plus de 300 pages (je l'ai en epub et le nombre de pages est plus réduit, d'où mon erreur d'appréciation).

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  4. Tu es tentatrice, les LC sont toujours motivante, mais je ne peux pas encore décidée pour octobre.

    Pour la saison nippone, si tu le peux ce sera plusieurs LC. J'ai noté ta liste ( je ne sais pas si tu as déjà vu ma réponse ). Sûrement nous ne pourrons pas tout lire mais je te rejoins pour K.Oe, pour Ogawa aussi, ce serait une belle occasion pour moi de la lire enfin. Commençons donc par ce fameux Six-Quatre, puis Silence, c'est bien déjà. En ce moment' je lis un recueil de nouvelles de Mishima. Oui, tenons-nous au courant de nos avancée de lecture. Je te confirmerai quand je me lance dans Six-Quatre.

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    1. D’ici le 15 octobre, tu as bien le temps pour te décider d’y participer ou non.

      J’ai bien vu ta réponse mais je n’aime pas trop « troller » un billet avec des commentaires hors-sujet, raison pour laquelle je te réponds ici 😉

      Je te rassure tout de suite, je ne compte pas tout lire dans les semaines qui viennent, cette liste est juste pour donner des idées de lecture, il se trouve que je les ai aussi déjà en epub. Pour tout te dire, j’avais pensé me concocter une année nippone prochaine, un peu comme mon année 2017 en Russie. Partir sur les auteurs Kenzaburo Oé et Yôko Ogawa, et les romans Silence de Shûsaku Endô et Six-Quatre de Hideo Yokoyama me semblent constituer une bonne base. On arrête des dates maintenant ou tu préfères attendre un peu ? Je n’ai pas d’autres LC avant le 15 octobre, je n’ai donc pas beaucoup de contrainte à ce niveau-là.

      Pour en revenir à Yôko Ogawa, j’en ai déjà lu plusieurs. Je te conseille L’annulaire (http://livresque-sentinelle.blogspot.com/2008/12/lannulaire-de-yoko-ogawa.html ) ou Le musée du silence (http://livresque-sentinelle.blogspot.com/2011/09/le-musee-du-silence-de-yoko-ogawa.html). Ce sont d’excellents romans pour découvrir l’auteur. Cristallisation secrète n'est pas mal aussi (mais j’ai préféré les deux premiers cités), et Hôtel Iris est celui qui m’a mise le plus mal à l’aise.

      Je te conseille aussi la jeune auteure Mieko Kawakami, dont Heaven, très marquant et très interpellant (https://livresque-sentinelle.blogspot.com/2017/07/heaven-de-mieko-kawakami.html).

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    2. C'est vrai que notre conversation envahit nos billets :) ( il y a une adresse mail - message - sur mon blog si tu préfères, je n'ai pas vu chez toi ).

      J'avais noté Mieko Kawakami, avec Heaven et De toutes les nuits, les amants, tu confirmes la curiosité ! Pour les dates , je te propose que nous confirmions la date pour la première lecture après le 22 juillet, nous saurons mieux où nous en serons.

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    3. Sur mon blog, j'ai beaucoup moins de scrupules à ce sujet ;-)

      Mais si tu préfères passer par ma messagerie : 100tinelle@gmail.com

      On peut aussi en discuter sur la page consacrée aux LC : https://livresque-sentinelle.blogspot.com/p/lectures-communes.html

      Ok, on fait comme ça !

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