lundi 5 février 2018

Carnet de notes n°3 : Les Pérégrins d'Olga Tokarczuk (Lecture Commune)

Kunicki - Partout et nulle part - Les aéroports

[p.24]Le but de mes pérégrinations est toujours la rencontre d'un autre pérégrin.


Partir, quitter, fuir, errer, disparaître, se fondre dans l'anonymat,  être libre, voyager, randonner ou faire du tourisme, l'éventail est large. 

Les nouveaux nomades, ce sont les randonneurs, les bacheliers, les futurs étudiants, les émigrants, les bourlingueurs, les vagabonds, les fous...  Une vie sous le signe de la précarité et des jobs occasionnels. Vivre = survivre à l'écart.

Comment perdre sa femme et sa fille sur une île minuscule ? Quand seul subsiste un seul simple sac à main de son épouse, dans lequel on retrouve des objets aussi dérisoires qu'un tube de rouge à lèvres presque neuf ou la carte de visite d'un bistrot. Importance des traces, témoignage de notre passage. 

 [p.40] Kunicki se dit qu'on pourrait mener les recherches depuis un hélicoptère, car l'île est presque toute pelée.  Il songe aussi à ces puces électroniques qu'on attache aux pattes de certains animaux, des oiseaux migrateurs comme les cigognes ou les grues, mais que personne n'a jamais penser utiliser pour les humains.  Tout le monde devrait être équipé de ce machin pour sa propre sécurité ; on pourrait alors suivre tous nos mouvements sur Internet : trajets, arrêts, égarements.  Combien de vies humaines pourraient être sauvées ! L'image d'un écran d'ordinateur lui vient à l'esprit : des lignes de couleur, l'incessant tracé de gens identifiables, des signes.  Des cercles, des ellipses, des labyrinthes ; peut-être aussi des huit dans début ni fin, ou des spirales avortées qui s'arrêtent brutalement. 



Quand commence-t-on à exister ? Nous sommes des êtres instables soumis aux lieux, aux heures de la journée, à la ville, à son climat, à la langue du pays.  

  [54]  Quand je suis en voyage, je disparais des cartes.  Personnes ne sais où je suis.  Suis-je à mon point de départ ou déjà sur le lieu de ma destination ?  Est-ce qu'il existe un "entre-deux" ?  Suis-je comme ces heures du jours escamotées lorsque l'avion vole vers l'ouest ? Ou comme la nuit qui fuit quand l'avion vole vers l'ouest ? (...)   Je pense qu'il y a beaucoup de personnes comme moi.  Des personnes disparues, absentes, qui apparaissent subitement dans les terminaux des aéroports, dans les zones d'arrivées, et qui ne commencent à exister qu'une fois leur passeports dûment tamponnés (...)  

Les peuples sédentaires préfèrent les agréments d'un temps cyclique, où chaque événement est censé revenir à son début, alors que les nomades ont inventé un temps linéaire, mieux adapter à l'errance, aux pérégrinations, un temps plus pragmatique, qui permet d'évaluer la distance à parcourir ou la rentabilité d'un voyage. 


  [55] La mobilité, la variabilité, le caractère illusoire de ce qu'il entreprend, voilà ce qui caractérise l'homme civilisé.  

  [55]  Chaque moment est alors unique et ne se reproduira plus, ce qui favorise la prise de risque et renforce la rage de vivre et de profiter pleinement de chaque instant.  Mais , au fond, c'est une découverte amère : dans la mesure où tout changement dans le temps est irréversible, la perte et le deuil surviennent sans cesse. 

  [56] Je pense aussi que le monde se trouve à l'intérieur de nous-mêmes, niché dans les circonvolutions du cerveau, dans l'épiphyse, plus exactement.   Il est cette petite boule coincée dans la gorge.  A vrai dire, il suffirait de toussoter et de le recracher. 

Le temps des voyageurs, c'est "plusieurs temps en un seul, c'est une riche palette de temps".



A lire également :

Lecture commune : Présentation
Carnet de notes n°1 : Je suis - Le monde dans la tête


Suite prochainement avec le Carnet de note n°4 : La psychologie du voyage


7 commentaires:

  1. Ces réflexions m'interpellent ! Je crois que ce titre sera l'une de mes lectures estivales.

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    1. C'est une très bonne idée :)
      J'aime beaucoup aussi les thématiques abordées.

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  2. Bonjour Sentinelle, c'est toujours enrichissant ces récits de voyage. Dans le cadre d'un voyage également (mais avec un style plus chargé et des références davantage portées sur la littérature, la philosophie et l'Histoire que les Peregrins si j'en juge par les extraits que tu as postés) j'avais lu Danube de Claudio Magris : une somme impressionnante sur la culture Mitteleuropa.

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    1. Bonjour Strum,

      Je te remercie pour cette référence, qui me semble effectivement très intéressante. Les Pérégrins n'est pas un récit de voyage à proprement parlé, mais j'y reviendrai lorsque j'écrirai un billet plus global à ce sujet. Pour revenir aux récits de voyage, et dans un genre sans doute très différent encore, j'avais bien aimé Constantinople de Théophile Gautier, qui nous propose également un voyage dans le temps (en 1852, plus exactement) : http://livresque-sentinelle.blogspot.be/2016/02/constantinople-de-theophile-gautier.html

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    2. Ah tiens, en relisant mon billet sur Constantinople de Théophile Gautier, je vois que tu avais publié un commentaire me conseillant « Voyage en Orient » de Gérard de Nerval :) Je vais le re-noter ;-)

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  3. Exact, j'avais oublié. :) Dans les classiques, il y a aussi les Promenades dans Rome de Stendhal (que je n'ai jamais lu). Je peux aussi conseiller un autre très beau livre de voyage (je l'ai lu celui-là) : L'usage du monde de Nicolas Bouvier. J'avais beaucoup aimé.

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    1. J'ai un gros volume de Nicolas Bouvier, plusieurs textes édités dans la collection Quarto Gallimard. Dont L'usage du monde :) Tiens, il manque cet auteur dans ma liste de livres à lire, j'en profite pour l'ajouter. Bon dimanche, Strum.

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