Si le mariage de la sensuelle Elizabeth et du contemplatif Nate bat
de l’aile depuis longtemps, ils n’ont jamais pour autant envisagé de se
séparer pour le bien-être de leurs deux enfants. Chacun
s’accommode des amant(e)s de l’autre jusqu’au jour où le dernier
amant en date d’Elizabeth se suicide :
« Je ne sais pas comment je devrais vivre. Je ne sais pas comment on devrait vivre. Je sais seulement comment je vis. Je vis comme un escargot privé de sa coquille.
[...]
Je veux qu'on me rende ma coquille, j'ai mis assez longtemps à la fabriquer. Tu l'as emporté, où que tu sois désormais. Tu as bien su me l'ôter. Je veux une coquille comme une robe à sequins, faite de piécettes argentées et de dollars se chevauchant comme les écailles d'une armadille. L'arme à gauche. Imperméable ; comme un ciré breton. »
Nate en profite pour quitter sa maîtresse actuelle, mais ce n’est que
pour mieux tomber amoureux de Lesje, une jeune paléontologue gauche et
timide. La tolérance de façade qui prévalait jusque là
commence à se fissurer, et ce sont toutes les petites avanies,
compromissions désavouées, petites lâchetés et manipulations douteuses
qui commencent à s’engouffrer dans les brèches de plus en
plus profondes d’un couple en perdition.
Polyphonie à trois voix (Elizabeth, Nate, Lesje), ce roman tient
autant du roman psychologique que de l'étude de moeurs d’une époque. Au
final, un roman mélancolique désenchanté où l’humour n’est
pas absent même s’il laisse toujours une certaine amertume dans ses
sillages : incompréhension, incommunicabilité, les êtres se croisent et
se décroisent sans jamais vraiment se rencontrer.
Aucun gagnant mais tous perdants semble nous dire Margaret Atwood,
qui sait de quoi elle parle tant ce roman sent le vécu dans les
déambulations et questionnements divers des trois protagonistes.
Décidément le mariage est tout un art mais ne sont-ils pas leurs
propres bourreaux dans cette histoire ? Et s’il fallait tout simplement
essayer de se libérer de ses derniers oripeaux pour mieux
aller à la rencontre de l’autre ? Encore faut-il savoir ce que l’on
veut pour décider où l’on va.
Tout est dans la finesse du trait et Margaret Atwood n'est pas en reste dans cet exercice difficile. Un bon roman de la romancière, pas mon préféré mais pas non plus le
moins bon, loin s'en faut.
« Lesje jette des coups d’œil aux vitrines des boutiques de robes et
des grands magasins, lorgnant les mannequins cadavériques qui se
dressent avec arrogance, le pelvis projeté en avant, une main
anguleuse posée sur la hanche et les jambes écartées avec un genou
replié. Si ces corps étaient animés, ils tournoieraient, ils se
trémousseraient comme dans le finale orgasmique d'une
stripteaseuse. Mais comme il ne s'agit que de plâtre et de fil de
fer inanimés, le bon goût est sauf.
»
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