Nous sommes au XIXe siècle dans une bourgade des îles Anglo-Normandes. Venu emménager avec son père rue du Dauphin Vert, le jeune William se lie d’amitié avec ses deux voisines, des sœurs aussi dissemblables physiquement que psychologiquement : la douce et souriante Marguerite, jolie petite fille potelée aux boucles blondes comme les blés, et la tempétueuse et intelligente Marianne, jeune adolescente de 16 ans dépourvue de beauté. Deux sœurs bien différentes tombant amoureuses du même William. Bien qu’ayant une préférence marquée pour Marguerite, il éprouve néanmoins de l’estime pour la force de caractère de Marianne, ce qui ne l’empêche pas de confondre allégrement leurs deux prénoms. Une étourderie qui sera bien fâcheuse : établi comme colon en Nouvelle-Zélande, il demande par lettre la main de Marguerite. Mais constate avec effarement que c’est Marianne qui débarque du bateau, après plus de cinq mois de navigation …
Et nous voilà embarqués dans un fameux pavé de presque 800 pages qui réussit l’exploit de ne jamais nous lasser tant les péripéties et autres rebondissement abondent au fil des pages. Nous assisterons à la vie harassante des pionniers venus s’établir dans ce nouveau monde et qui affronteront courageusement les intempéries et autres tremblements de terre en passant par deux guerres civiles avec les Maoris. Mais le plus combat le plus âpre n’est jamais celui contre la nature ou un peuple en révolte mais bien le combat contre soi-même : extirper de soi la jalousie, l’orgueil, l’égoïsme et l’ambition au profit du renoncement, de l’humilité et du sacrifice. De nombreux autres thèmes fleurissent dans ce roman, comme celui de la substitution, du paradis perdu et encore de l’enfance comme refuge de l’innocence. Notons aussi quelques personnages pittoresques au possible, qui sembleraient presque sortis d’un conte de fées (le capitaine O’Hara, son second Nat ou encore Tai Haruru), et un humour distillé avec parcimonie mais jamais absent (l’impitoyable perroquet Old Nick). Mais c’est surtout l’empreinte de mysticisme et de merveilleux qui donnent toute l’ampleur et la puissance de ce roman, un mysticisme allant du paganisme au panthéisme en passant par la religion et les croyances diverses.
Un magnifique roman sur trois cœurs, qui à défaut de battre à l’unisson, ne pourront jamais se désaccorder totalement.
Le Pays du Dauphin Vert d'Elizabeth Goudge, Traduction de l'anglais par Maxime Ouvrard, Éditions Phébus Collection Libretto, 16 mai 2007, 800 pages.
Édition originale : Green Dolphin Country (1944)
A découvrir également :
* De Grandes Espérances de Charles Dickens
* Nord et Sud de Elizabeth Gaskell
* Le bouc émissaire de Daphné du Maurier
Un très beau livre a priori ! Merci pour ta chronique, je note la référence ;)
RépondreSupprimerParmi toutes les grandes romancières anglaises (George Eliot, Elizabeth Gaskell , Mary Elizabeth Braddon, Margaret Drabble pour ne citer que quelques-unes), j'ai l'impression qu'Elizabeth Goudge (1900-1984) est malheureusement un peu tombée dans l'oubli. C'est donc une très bonne chose que les éditions Phébus ait réédité cet excellent roman. Il y a beaucoup de Scarlett O'Hara dans le personnage de Marianne : fière, coquette, orgueilleuse, vaniteuse, courageuse, jalouse, manipulatrice et égoïste. Et pourtant, il est impossible de ne pas l'apprécier car derrière cette armure d'amazone, il y a aussi bien d'autres choses. Le plus étonnant dans ce très gros roman est non seulement qu'on y rentre immédiatement mais qu'il ne contient aucune longueur et c'est suffisamment rare que pour le souligner. Un très bon roman donc, et que j'ai découvert totalement par hasard dans une bouquinerie. Après un passage sur babelio pour voir ce que les lecteurs en pensaient, j'ai vu qu'il n'avait que de très bonnes critiques et je ne peux que les rejoindre après ma lecture :-)
RépondreSupprimerBelle chronique, Sentinelle ! Aimant "zapper" entre différents univers, je dois avouer que j'ai un peu de mal à lire un livre de 800 pages, mais il n'empêche que ton texte donne envie d'essayer.
RépondreSupprimerEffectivement, à te lire, ça m'a tout l'air d'un grand roman épique, qui aurait pu faire l'objet d'une adaptation cinéma lors de l'âge d'or d'Hollywood. Ou alors aujourd'hui encore, par cette chère Jane Campion !
Et bien figure-toi qu’Elizabeth Goudge avait remporté avec ce roman le premier prix d’un concours cinématographique et que ce fut Louis B. Mayer qui en fit un film en 1947 : Green Dolphin Street de Victor Saville, avec l’actrice Lana Turner dans le rôle de Marianne. Film qui remporta également un prix. Pour plus d’info sur ce film, je te renvoie vers un autre blog : http://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.be/2013/06/le-pays-du-dauphin-vert-green-dolphin.html
SupprimerJ’aime particulièrement Jane Campion, il faudrait lui envoyer le roman tant ton idée me parait excellente ! :-)