samedi 15 novembre 2014

L'Europe des écrivains - la Suède (reportage)

L'État-providence social-démocrate de la Suède, reconnu pour son égalité et sa prospérité, est souvent cité en exemple. La Suède fut pourtant très pauvre dans le passé, et de nombreux suédois ont dû quitter le pays pour s'établir en Amérique. C'est le mouvement ouvrier qui a fondé l’État social-démocrate : vingt années de combat pour établir la démocratie participative, le suffrage universel et le droit de vote aux femmes.  Le parti social-démocrate, au pouvoir depuis les années 30, a renforcé la protection sociale, assuré la gratuité des études, l'assurance chômage et la sécurité sociale. C'est la fameuse troisième voie suédoise, située entre le communisme et le capitalisme, et incarnée par Olof Palme, dirigeant du Parti social-démocrate suédois des travailleurs et à deux reprises ministre d'État,  jusqu'à son assassinat en 1986. La Suède s'est également bien préservée pendant le seconde guerre mondiale : neutre pendant le conflit, elle a vendu 35 millions de tonnes de minerai de fer au régime nazi allemand, tout en leur permettant d'utiliser leur chemin de fer jusqu'en 1943. L'État s'est donc enrichi alors que la plupart des autres pays européens tombaient en ruine suite aux bombardements des nazis. Une situation qui leur a permis de continuer à améliorer les avancées sociales en privilégiant l'entente, le compromis, le partage et la sécurité, tout en évitant la lutte des classes. Un État-providence qui attire depuis les années 70 de nombreux réfugiés politiques et qui continue à faire rêver toute l'Europe. Pourtant quelques voix s'élèvent depuis quelques années pour dénoncer les signes avant-coureurs de la fin de ce particularisme suédois.  Parmi ces voix, quatre écrivains qui essayent de décrypter cette société en pleine mutation à travers leurs œuvres.


Henning Mankell (né en 1948 à Stockholm) est l'auteur de la série policière ayant pour héros l'inspecteur Kurt Wallander. Selon lui, la société démocratique ne peut exister que si le citoyen a pleinement confiance en la justice de son pays. Or ces vingt dernières années ont été marquées par plusieurs scandales ayant impliqué le système judiciaire suédois, d'où son sentiment d'une démocratie menacée.  Il souligne également les changements de la Suède depuis les années 80-90, qui ont progressivement aboli les différences que pouvaient exister entre les petites villes et le grandes villes. Ce n'est donc pas un hasard s'il a posé son choix sur la ville portuaire d'Ystad comme résidence du commissariat de l'inspecteur Kurt Wallander, une petite ville de la province de Scanie, située à l'extrémité sud du pays. Une région frontalière qui possède une dynamique très particulière de par sa position et qui connait d'importants mouvements extrémistes. Il revient également sur la religion protestante, plus exigeante et plus austère, qui influence encore beaucoup la mentalité des suédois (être droit, travailler à la sueur de son front, ne pas avoir de dette...) et pour laquelle le pardon est une affaire personnelle et compliquée qui ne va pas de soi.


Sara Stridsberg (née en 1972 à Solna) a très peu écrit sur la Suède jusqu'à présent. La littérature se situant souvent dans les extrêmes, dans la mesure où l'être humain se révèle essentiellement lors de situations dramatiques, comment dans ce cas écrire sur la Suède, un pays dans lequel les gens sont si protégés ? Elle ressent donc le besoin de se projeter loin de son pays natal pour nourrir son écriture. Ce qui ne l'a pas empêcher de sortir des sentiers battus en écrivant sur la situation des sans papiers. Un retour aux sources qui se poursuit puisque l'auteur écrit aujourd'hui sur une époque critique de la Suède, celle de l'assassinat toujours non élucidé de son dirigeant Olof Palme. En tant que suédoise, Sara Stridsberg a conscience d'être freiné par des préjugés, des barrières et des idées reçues instaurées par la société. Le rôle de la littérature a toujours été de poser un regard plus nuancé et plus sensible sur le monde.


Katarina Mazetti (née en 1944 à Stockholm et d'ascendance italienne par son grand-père) a connu un énorme succès avec son premier roman, "Le Mec de la tombe d'à côté". Féministe convaincue, elle souligne qu'un des principes forts de son pays est l'égalité entre l'homme et la femme : dans les années 60, la société suédoise a fait le choix d'aider les femmes à participer au marché du travail plutôt que faire appel à la main d’œuvre étrangère. Et ce n'est pas sans humour qu'elle affirme que ce sont finalement les hommes qui profitent beaucoup de cette égalité de droit, en ayant la possibilité de s'octroyer des longs congés de paternité. Elle remet en question l'idée que la société suédoise serait très libérée sexuellement, un mythe issu des années 50 et de quelques films de l'époque mais qui ne correspond pas vraiment à la réalité. L'auteur s'attire volontiers les foudres des partis d'extrêmes droites en progression, soulignant les multiples emprunts et les influences étrangères de la culture suédoise.


Jonas Hassen Khemiri (né d'une mère suédoise et d'un père tunisien en 1978, à Stockholm) puise sa source d' inspiration dans les mythes de la nation, pleines de mensonges et de simplifications,  afin de les renverser pour mieux défier les préjugés. Il combat l'idée que les différentes cultures dans le monde sont incompatibles et que leurs frontières sont clairement définies.  Cette façon de voir n'est pour lui qu'un mythe de plus, renforcé par certains partis politiques qui exploitent la peur de l'étranger. De trop nombreuses personnes se retrouvent plutôt dans des zones grises et l'auteur aspire à brouiller ces frontières  à travers ses fictions, en dénonçant le racisme et les idées reçues, afin de mieux exprimer les nuances en excluant toute vision dichotomique de l'existence. Il fait également des expérimentations sur le langage, ce qui lui sera reproché, en l'accusant de "salir" la langue. Or tout langage évolue constamment, des mots, des expressions disparaissent, de nouveaux mots apparaissent, influencés par les gens d'ailleurs. Pourquoi évoquer la pureté d'une langue ? A partir de quand et depuis combien de temps serait-elle pure  ? On oublie parfois un peu vite qu'il y a 500 ans à peine, on ne pratiquait que l'allemand dans la ville de Stockholm. La pureté de la langue, encore un autre mythe à combattre.


La Suède de Jonas Hassen Khemiri, Henning Mankell, Katarina Mazetti, Sara Stridsberg - Collection Europe des écrivains
Réalisateur : Samuel Lajus
Année de sortie : 2014
Durée : 53 min
Coproducteur : Arte France

Ce programme est toujours disponible en vidéo à la demande ou DVD.

Pour un compte-rendu des autres émissions, voir le label L'Europe des écrivains.

5 commentaires:

  1. J'aime beaucoup le concept de cette émission. Il faudrait que je la regarde sur Arte +7, mais je n'ai pas beaucoup de temps ces jours-ci.

    La Suède (enfin, Stockholm) est un autre des pays que j'ai eu la chance de découvrir pour quelques jours de vacances. Quelle belle capitale ! Vu que tu disais être attirée par les pays du Nord, je te conseille l'expérience. Note qu'en y allant en août, je n'ai pas fréquenté une Stockholm très peuplée. Mais elle n'en est que plus paisible...

    Mis à part le premier tome de "Millenium", je ne crois pas avoir lu de littérature suédoise, peut-être un peu trop vite réduite aux polars. Je connais à peine mieux le cinéma suédois, mais je vais voir mon tout premier Bergman d'ici quelques jours. À suivre...

    Dans un tout autre genre cinématographique, je te conseille "Sugar Man", le très chouette documentaire consacré au bluesman Sixto Rodriguez, réalisé par le regretté réalisateur suédois... Malik Bendjelloul.

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  2. Merci pour ces conseils Martin ! J'irai très certainement dans une des capitales du Nord tres prochainement. Pour ce qui est du documentaire Sugar Man, j'ai pu le découvrir sur grand écran et j'en suis ressortie enchantée. Oh je peux savoir quel titre de film de Bergman ? Je suis vraiment curieuse de tes impressions, tu t'attaques à du lourd là :-)

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  3. Mon premier Bergman devrait être "Persona". J'ai adhéré récemment à une association de cinéphiles et Bergman semble l'un de leurs réalisateurs cultes. Par ailleurs, j'ai un gros coffret de DVD à la maison, donc les occasions ne manquent pas.

    Mes impressions suivront sur mon blog, bien entendu :)

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    1. Et je les lirai, bien entendu :)

      C'est très sympa d'adhérer à une association de cinéphiles.

      Alors autant j'ai l'impression de léviter avec Tarkoski, autant j'ai l'impression de plonger dans les grandes profondeurs avec Bergman. Du coup j'en ai vus très peu car il me faut beaucoup de courage pour les regarder tant j'en sors KO. Tu me diras s'il te fait le même effet. Je n'ai pas vu Persona par ailleurs.

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    2. Ah je viens de retrouver une de mes critiques du dernier film de Bergman. Et comme tu vas voir prochainement un film de ce réalisateur, je vais le reprendre pour mon blog et le publier dès demain ! Tu verras à quel point c'est une souffrance pour moi de voir ses films car je me suis bien exprimée là-dessus mdr

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