Amsterdam, février 1941. Le Reichleiter Rosenberg, chargé de la confiscation des biens culturels des juifs dans les territoires occupés, fait main basse sur la bibliothèque de Baruch Spinoza. Qui était-il donc ce philosophe, excommunié en 1656 par la communauté juive d'Amsterdam et banni de sa propre famille, pour, trois siècles après sa mort, exercer une telle fascination sur l’idéologue du parti nazi Alfred Rosenberg, qui joua un rôle décisif dans l'extermination des juifs d'Europe ?
Mon avis
Selon le dernier numéro en date du Magazine Littéraire, le virus Spinoza serait plus répandu que la grippe parmi les intellectuels du monde entier, à tel point qu’on pourrait les répartir en sept grandes tribus, dont celles des maxo-spinozistes, des écolo-spinozistes ou des spino-chologues ! Freud l’avait lui-même annoncé : si la psychanalyse avait besoin d’une caution philosophique, elle la trouverait en Spinoza. Je n'ai pas toutes les connaissances nécessaires pour comprendre les subtilités de cette assertion mais ce philosophe du XVIIe siècle, qui voulait à tout prix préserver sa liberté de penser et qui a ouvert la voie aux Lumières, ne pouvait visiblement que susciter l’intérêt de l’auteur et psychothérapeute Irvin Yalom. En restant le plus proche possible des événements historiques connus, l’auteur alterne les chapitres consacrés à ces deux personnages « ayant existé » mais que tout oppose : le juif Baruch Spinoza et le nazi Alfred Rosenberg.
Si Baruch Spinoza, descendant de la nação (juifs de la péninsule ibérique convertis de force au catholicisme mais restés clandestinement fidèles au judaïsme et qui ont finalement émigré pour fuir l'inquisition), connaîtra une véritable mise au ban de la communauté portugaise juive amsterdamoise de son époque - ce qui lui permettra de ne plus payer les dettes contractées et héritées de son père et de développer sa pensée en toute indépendance -, Alfred Rosenberg – déraciné, orphelin et issu d'une famille germano-balte - n’aura de cesse de lutter contre son sentiment de non-appartenance en devenant l’un des plus fervents partisans du national-socialisme. Deux individus séparés par plusieurs siècles, au cheminement très éloigné l’un de l’autre, mais qu’Irvin Yalom rassemble sous un prétexte romanesque aussi intelligent qu'astucieux. Hélas, la mise en place des personnages de fiction est nettement moins heureuse et donne une impression de grande artificialité ; sans consistance ni incarnation aucune, ils n’existent que pour dévoiler les éléments biographiques et l'évolution de la pensée des personnages historiques. Ce n’est certes pas inintéressant, dans la mesure où ce procédé permet de se familiariser avec quelques-uns de concepts-clés de la philosophie de Spinoza, exposés de façon claire et facilement compréhensible pour le lecteur, mais c’est tout l’aspect romancé qui m’a semblé manquer de vigueur et de caractère. J’ai trouvé également les passages psychanalytiques lourds et déplacés dans ce contexte. Quel dommage aussi de ne pas mettre suffisamment à contribution l’époque florissante du siècle d’or néerlandais, à tel point que l’auteur nous donne presque le sentiment que Spinoza a développé sa pensée en solitaire, sans tenir compte des particularités de la vie sociale, économique, politique, intellectuelle, religieuse et culturelle de la jeune République hollandaise. Je crois que j'aurais préféré plus de références historiques et moins de considérations psychanalytiques plombantes (elles alourdissent inutilement le récit, avec un côté affecté assez pénible à lire) et pas forcément pertinentes. Une lecture en demi-teinte qui ne m’a guère passionnée, il faut bien le reconnaître. Ceci dit, mon appréciation n'est pas du tout représentative de l'avis de la majorité des lecteurs, qui ont nettement mieux apprécié ce roman de manière générale. A vous de voir, donc.
Le problème Spinoza par Irvin Yalom, Traduction de Sylvette Gleize, Galaade Editions, 2011, 656 pages
Le problème Spinoza par Irvin Yalom, Traduction de Sylvette Gleize, Galaade Editions, 2011, 656 pages
A propos de Spinoza, bibliographie sélective et totalement subjective
Quelques mots sur la biographie de Spinoza par Steven Nadler, édité chez Bayard en 2003 et malheureusement épuisé. Il s'agirait ni plus ni moins de l'une de ses meilleures biographies, prenant en compte toutes les circonstances historiques et culturelles du développement de la pensée du philosophe, tant sur le plan familial que géographique et social. J'ai trouvé ce livre particulièrement intéressant, notamment lorsqu'il revient longuement sur la formation et l'organisation des communautés juives d'Amsterdam, d'origines diverses et pas toujours en bons termes. Je lirai prochainement Le Clan Spinoza, Amsterdam 1677, L'invention de la liberté par Maxime Rovere (cliquez sur la couverture pour suivre le lien). Un récit structuré en fragments, composés d'éléments biographiques, historiques et didactiques, passant de la narration à l'essai, et qui se prolonge bien après la mort du philosophe, survenue le 21 février 1677 à La Haye. Le clan Spinoza désigne donc à la fois un groupe d'hommes et une pluralité de concepts propres à cette époque, qui ont contribué à l'émergence de la pensée du philosophe. Pour en savoir plus, je vous invite à écouter le podcast de l'émission Les Chemins de la philosophie par Adèle Van Reeth (27/10/2017) : Le clan Spinoza. Ce livre, édité chez Flammarion et récemment publié, est également à l'honneur dans l'émission Matières à penser avec Frédéric Worms (23/10/2017) : La bande à Spinoza. L'écrivain français, philosophe et traducteur Maxime Rovere est également enseignant à l'université PUC (Pontifícia Universidade Católica) de Rio de Janeiro.
A propos du nazisme, bibliographie sélective et totalement subjective
Parmi mes plus récentes lectures, je vous conseille le monstrueux Central Europe de William T. Vollman. Véritable pieuvre littéraire aux multiples tentacules, sorte de Léviathan sorti des enfers de la guerre et du pouvoir totalitaire, tout semble hors norme dans ce récit. Mais quel récit ! Je passerai ensuite à Jonathan Littell et son "fameux" Les Bienveillantes, très discuté et très discutable. Je ne sais toujours pas quoi en penser, si ce n'est qu'il a eu le mérite de démonter ma croyance en une mécanique bien huilée et trop parfaite du nazisme, alors qu'il y avait le plus souvent une désorganisation complète, y compris lors des exécutions. Ce roman m'a donné la nausée, je n'y reviendrai plus jamais. Jonatha Littell remet le couvert avec son essai Le sec et l’humide, une brève incursion en territoire fasciste. L'auteur s’applique à étudier le texte du fasciste Léon Degrelle à travers la grille d’analyse proposée par Klaus Thewelet, qui avait développé une approche inédite du fascisme en analysant la structure mentale de la personnalité fasciste. Il en viendra à considérer le fasciste non pas comme le fruit d’une idéologie mais comme la traduction d’états corporels dévastateurs, qu’il nomme le « mâle-soldat ». Je ne sais toujours pas quoi en penser non plus, si ce n'est que Jonathan Littell aime provoquer et déranger. Enfin, je vous propose Histoire d'un Allemand : Souvenirs 1914-1933 de Sebastian Haffner, qui a vécu de l'intérieur la montée en puissance du nazisme.
D'aussi loin que je m'en souvienne, le nazisme m'a toujours traumatisée. A tel point que ces images de rassemblement des foules avec un Hitler vociférant, vues et revues à la télévision quand j'étais enfant, ont déclenché en moi la phobie des foules. J'ai lu énormément sur le nazisme, mais aussi une très intéressante biographie sur Hitler écrite par Alan Bullock : Tome 1, Hitler ou les mécanisme de la tyrannie, l'ascension et le Tome 2, Hitler ou les mécanisme de la tyrannie, l'apogée et la chute. Tous les deux édités dans la collection Marabout Université en 1963. Comment se sont-ils retrouvés un jour dans ma bibliothèque ? Je ne m'en souviens plus mais ces deux tomes ne m'ont jamais quittée depuis lors.
Enfin, deux romans lus il y a très longtemps mais dont je garde précieusement le souvenir : Le Roi des Aulnes de Michel Tournier et La mort est mon métier de Robert Merle. Deux romans qui m'ont marquée durablement. Puis comment oublier Maus : Intégrale par Art Spiegelman.
Enfin, je termine cette présentation avec Après la guerre (Une histoire de l'Europe depuis 1945) de Tony Judt, une lecture déjà entamée mais qui va encore m'accompagner de très longs mois. Je cite la quatrième de couverture : La reconstruction, le déplacement forcé de populations, la mémoire de l'Holocauste et du communisme, la guerre froide ont marqué l'Europe de l'après-guerre. L'historien décrit les évolutions politiques, économiques, sociales et culturelles, à l'échelle du continent ou du pays, dans l'Europe de la seconde moitié du XXe siècle.
J'ai lu plus d'une centaine de pages et il me semble très prometteur.
Enfin, je termine cette présentation avec Après la guerre (Une histoire de l'Europe depuis 1945) de Tony Judt, une lecture déjà entamée mais qui va encore m'accompagner de très longs mois. Je cite la quatrième de couverture : La reconstruction, le déplacement forcé de populations, la mémoire de l'Holocauste et du communisme, la guerre froide ont marqué l'Europe de l'après-guerre. L'historien décrit les évolutions politiques, économiques, sociales et culturelles, à l'échelle du continent ou du pays, dans l'Europe de la seconde moitié du XXe siècle.
J'ai lu plus d'une centaine de pages et il me semble très prometteur.
J'avaiS aimé beaucoup beaucoup Et Nietzsche a pleuré mais pas du tout Mensonges sur le divan. Curieusement, alors que la philosophie m'indiffère, la vie des philosophes m'intéresse.
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup connaître le contexte historique dans lequel se déploie une nouvelle ou la continuation d'une pensée philosophique. J'ai acquis dernièrement Montaigne par Arlette Jouanna, et je pense que je vais me régaler : "On ne peut comprendre, écrit Arlette Jouanna, le destin singulier de cet homme d'exception sans mettre en miroir les différentes figures qui composent sa personnalité et le terroir historique dans lequel elles s'enracinent. C'est d'un regard d'historien qu'il faut en effet redécouvrir son itinéraire tumultueux et la fascinante diversité d'une pensée toujours en mouvement."
SupprimerAh moi, j'avais beaucoup aimé Le problème Spinoza, comme eeguab. Bien sûr, il y a de l'invention et pas mal d'artifice, mais aussi beaucoup d'habileté dans le récit et de belles intuitions. J'avais lu ça en quelques jours, ça se lit vite je trouve. Et c'est une manière distrayante d'approcher Spinoza qui est quand même un philosophe extrêmement ardu à lire dans le texte, comme ceux qui ont lu ou tenté de lire L'Ethique le savent. Quant au reste : Les Bienveillantes de Littel : un livre qui m'était tombé des mains. Lourd et beaucoup trop long. Je m'étais arrêté au bout d'une centaine de pages. Histoire d'un allemand de Haffner : passionnant, cela se lit très vite aussi. Le Roi des Aulnes, beau souvenir littéraire, quoique je m'en souvienne surtout grâce à la beauté du style de Tournier aujourd'hui. Pas lu Après-guerre de Tony Judt, mais ce que tu en dis m'intéresse beaucoup. Bref, merci pour ce riche billet. :)
RépondreSupprimerJ'ai mis beaucoup de temps à le lire, mais je reconnais bien volontiers que mon avis ne rejoint pas du tout la majorité des lecteurs.
SupprimerConcernant Les Bienveillantes de Littell, je pense que peu de lecteurs ont eu le courage de le lire jusqu'au bout. J'ai mis trois semaines et je n'en pouvais plus, au point d’accélérer ma lecture sur la fin pour me sortir de cet enfer. Il est excellemment bien documenté mais j'ai eu beaucoup plus de mal avec la partie fictionnelle.
Le Roi des Aulnes est pour moi un petit bijou. Il est très riche à plusieurs niveaux, et il foisonne de concepts psychanalytiques, mais ils sont introduits finement, intelligemment, astucieusement, subrepticement. Irvin Yalom ferait bien de s'en inspirer ;-)
Je te conseille Après-guerre de Tony Judt, bien que je ne sois pas très loin dans ma lecture.
Et bien c'est tout vu pour moi :-)
RépondreSupprimerJ'admire de t'imposer 656 pages d'une lecture en demi teinte.
Au cinéma, j'abandonne facilement un film en cours de vision s'il ne me plait pas (j'ai l'impression de perdre mon temps) mais en littérature... il y a toujours quelque chose de bien malgré tout, donc ça vaut la peine de poursuivre. Mais j'avance plus lentement.
SupprimerAh moi j'ai décidé de ne plus perdre mon temps. C'est assez récent. 2 ans peut-être. Au bout de 150 pages j'estime que l'auteur a eu sa chance.
RépondreSupprimerMais de toute façon mes lectures ne seront jamais aussi intellos que les tiennes. J'ai besoin de fiction. Quoique parfois la réalité a plus d'imagination...
La réalité est saisissante, il se passe parfois des choses dans la réalité que nous ne pourrions pas croire dans la fiction... Je lis beaucoup depuis que j'ai appris à lire, je crois que c'est ma drogue à moi, je serais vraiment malheureuse si je devais m'en passer. Mais après toutes ces années de lecture, j'ai forcément besoin de quelque chose de consistant pour que cela fasse encore son effet. Une drogue dure, comme je te disais ;-)
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