L’Homme qui savait la langue des serpents (Prix de l'Imaginaire 2014 du Roman Etranger), première traduction française de l’auteur estonien Andrus Kivirähk, fut une découverte littéraire majeure de l’année 2013 en ce qui me concerne. Ce roman, qui tenait autant de l’épopée, du mythe que du texte fondateur et testamentaire d’un peuple à une époque très lointaine, tout à la fois ironique, surréaliste, sombre et tragique, m’avait totalement conquise. C’est donc avec curiosité doublée d’une certaine impatience que j’attendais la traduction de ce second roman.
D’emblée, on constate que Les Groseilles de novembre se démarque fortement de L’Homme qui savait la langue des serpents, dans le ton comme dans la forme. Se situant dans un petit village estonien aux allures moyenâgeuses, ce roman est en fait une chronique villageoise étalée sur le mois de novembre, chaque chapitre du livre reprenant chronologiquement les péripéties du jour. Le mois de novembre étant un mois particulièrement pénible sur le plan climatique (il fait froid, humide, pluvieux, neigeux), il symbolise au mieux l’univers de ce village perdu dans les terres estoniennes.
Au travers d’une narration à la structure beaucoup plus éclatée que son prédécesseur, se côtoie une multitude de personnages aussi surprenants les uns que les autres : des démons maraudent dans les bois, des défunts font un bon repas et prennent un bain de vapeur dans une étuve le jour des âmes, le diable (surnommé le Vieux-Païen) fait des affaires, la sorcière prépare des poisons, des tourbilloneurs se déchainent, le pasteur fait la messe, les barons du manoir se font spolier, le granger soigne, un intendant tombe amoureux de la fille du baron allemand et l’idiot du village fait l’idiot.
Mais le plus intriguant de tous est bien le « kratt », une drôle de créature au service de son maître, assemblé de bric et de broc par l’homme, et dont la fonction principale est de voler et de chaparder pour son propriétaire. Seule condition pour l’homme : pactiser avec le diable pour donner une âme au kratt, en versant quelques gouttes de son sang. Mais le diable est parfois bien stupide ou le paysan bien malin, lorsque quelques gouttes de groseilles font aussi bien l’affaire.
L’auteur Andrus Kivirähk donne vie à tous ces personnages fantastiques et imaginaires, en puisant son inspiration dans le folklore et la tradition orale. Il rend également hommage aux croyances, aux idéaux, à l’espièglerie et la débrouillardise d’un peuple de paysans pauvres estoniens provenant d’une des dernières régions païennes d’Europe, puisqu’ils ne furent évangélisés qu’au début du 13e siècle par des chevaliers allemands. Le paysan avait donc une approche assez « utilitaire » du christianisme, puisqu’il croyait autant en Dieu qu’au diable, aux esprits et autres démons, et n’hésitait pas à faire des affaires avec le diable (assez facile à berner) quand son intérêt était en jeu. Son plus grand plaisir étant de duper et de voler les biens des piètres seigneurs du manoir…
Il n’est pas étonnant dans ces conditions que Les Groseilles de novembre soit considéré comme son meilleur roman à ce jour en Estonie. Cette farce, drôle et caustique, n’a pas pour autant la même force que L’Homme qui savait la langue des serpents, certes plus sombre mais bien plus émouvant. Il n’en demeure pas moins intéressant et agréable à lire, en nous faisant voyager dans un folklore estonien païen, en compagnie de paysans chapardeurs des plus sympathiques. Et j’attends donc déjà avec impatience la traduction d’un troisième roman, qui paraîtra l’année prochaine, toujours chez Le Tripode. Et tout aussi différent des deux précédents romans, parait-il. Amis lecteurs, vous voilà prévenus !
L'avis de Traversay
Les Groseilles de novembre d'Andrus Kivirähk, traduit de l’estonien par Antoine Chalvin, Illustration de la couverture par Denis Dubois, Éditions Le Tripode, 9 octobre 2014, 266 pages
Je pensais qu'il sortait en novembre...je vais vite regarder en librairie.
RépondreSupprimerJe pensais au contraire qu'il était déjà sorti début septembre et ce n'est qu'en écrivant les références du roman que je me suis rendue compte qu'il venait à peine d'être publié. Je comprends mieux pourquoi je ne lisais aucune critique de ce roman avant cela ;-)
SupprimerLes estoniens ont bien raison, on ne peut croire en Dieu que si on croit au diable. L'un n'existe pas sans l'autre.
RépondreSupprimerTon enthousiasme et ta curiosité font plaisir à lire mais jusqu'à présent chaque fois que j'ai lu un livre qui t'avait emballée, je n'ai pas aimé voire pire j'ai abandonné ma lecture.
Hmmm c'est bien possible... Je crois effectivement qu'on se retrouve plus facilement cinématographiquement parlant ;-)
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