« Longtemps, je suis resté immobile, tapi dans un coin de ma chambre. Cela doit faire environ deux semaines que je m'y suis enfermé. Mon reflet dans le miroir montre un visage aux joues et au menton envahis par une barbe hirsute. Avant, comme je prêtais toujours une grande attention à mon apparence, je prenais soin de ma coiffure et m'épilais méticuleusement les sourcils. Maintenant, mes arcades sourcilières sont à l'abandon, comme une maison délabrée dans un champ en broussaille, et j'ai beau relever les mèches, ternies par la saleté, de mes cheveux que je ne lave plus depuis des jours, elles retombent chaque fois en désordre sur mes yeux. »
C’est ainsi que débutent les confessions d’un jeune cadre japonais qui décide un beau jour de ne plus se rendre au travail, rompant toutes relations sociales, professionnelles et familiales en restant cloîtrer dans sa chambre, n’en sortant plus que pour satisfaire ses besoins corporels. Reclus dans sa chambre et coupé du monde, il attend le jour tant espéré où il verrait sa véritable identité se révéler enfin, débarrassée de ces rôles sociaux auxquels il s’est conformé toute sa vie pour accéder à sa véritable nature, ce qu’il appelle l’ultime métamorphose. S'identifiant au héros de « La métamorphose » de Kafka, ce repli sur soi est également l’occasion de jeter des ponts entre son vécu et celui de Gregor Samsa…
Quel étrange récit que celui-ci ! J’ai aimé suivre le narrateur dans son analyse de l’œuvre de Kafka, apportant des éclairages intéressants sur les circonstances qui ont mené à la métamorphose de jeune héros Gregor Samsa imaginé par Kafka, circonstances que reflètent les peurs et le propre vécu du narrateur.
J’ai apprécié également l’étude sociologique du Japon d’aujourd’hui, ce Japon en récession qui voit ses jeunes cadres dynamiques en pleine crise identitaire, victimes des pressions sociales quotidiennes et fatigués de porter des masques factices sous lesquels ils finissent par étouffer.
« Je crois que les êtres humains sont rattachés à la société par toutes sortes de ficelles issues de différentes directions. Si jamais ces ficelles, tendues à se rompre, en viennent à lâcher pour de bon, elles s'éloignent à une folle vitesse et disparaissent de notre vue en un clin d'oeil. J'ai essayé de m'imaginer en train de chercher les bouts de toutes ces ficelles pour les rattacher à moi de nouveau. J'en ai ressenti un si violent vertige que j'ai failli m'effondrer sur place. »
Je découvre également que les japonais utilisent des vocables distinctifs – un ‘otaku’ ou un ‘hikikomori’ - pour désigner le jeune adulte qui recoure à la réclusion volontaire pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, déçu de ne pas pouvoir mener à bien ses objectifs dans la vie et réagissant en s’isolant complètement de la société. Un phénomène social et psychologique de masse impressionnant puisqu’il concernerait près d’un million de jeunes au Japon, soit un jeune sur dix !
« Je comprenais bien l'état d'esprit de ceux de mes camarades qu'on appelait otaku. Ils fermaient les yeux devant l'extravagante immensité du monde, traçaient des frontières sur une certaine périphérie, fixées par eux-mêmes, considéraient cela comme les limites du monde et s'enfermaient à l'intérieur. »
Dire que j’ai pris du plaisir à lire ce récit serait toutefois mentir. Les propos sont démonstratifs et souvent redondants, l’écriture ne m'a pas enchantée plus que cela, l'ensemble est très sombre et la lassitude guettait plus d’une fois. Reste un roman instructif et original, qui dénote complètement des auteurs japonais que je lis habituellement.
Quelques notes sur l'auteur : Keiichirô Hirano a reçu le prix Akutagawa (l'équivalent du prix Goncourt en France) pour son roman "L’Eclipse". Ses influences littéraires sont du côté de Mishima et de Mircea Eliade. La dernière Métamorphose est son troisième roman traduit en français.
La dernière métamorphose de Keiichirô Hirano, Éditions Philippe Picquier, Collection Grand Format, 25 avril 2007, 167 pages
Dans la Collection Picquier poche, 4 septembre 2014, 172 pages
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