Le deuxième roman de Mary Relindes Ellis prend son point d’ancrage dans les « Bohemian flats », ces petites baraques en bois construites sur la rive ouest du Mississipi, au pied de Minneapolis. Cette zone est la terre d’accueil et le point de ralliement des migrants venus essentiellement de l’Europe de l’Est (slovaques, suédois, allemands et tchèques), d’où son surnom de "Little Bohémia". Située non loin de la ville et des usines de St. Anthony, ils viennent y chercher du travail tout en partageant leurs coutumes, leurs croyances, leurs histoires. La solidarité, la convivialité, l’entraide et l'amitié y sont de mise, pour que chacun puisse emprunter, le moment venu, le chemin escarpé menant au grand rêve américain.
« Cooper Street est sur la partie la plus élevée des Flats, seule Mill Street se trouve encore plus haut. En bas, il y a Wood Street, où les loyers sont moins chers car les maisons sont construites directement sur la rive. Sa partie inférieure est inondée chaque printemps, quand le fleuve est en crue, si bien qu’on l’appelle la « petite Venise ». Tous les habitants de Wood Street possèdent un bateau et, pendant au moins le mois et demi que dure la crue, ils passent d’une maison à l’autre dans des barques qu’ils dirigent à la perche. Si une maison est entièrement inondée, les habitants du niveau supérieur des Flats hébergent provisoirement la famille concernée. »
Nous y suivrons plus particulièrement une famille allemande originaire de Bavière, les Kaufmann, composée de trois frères, dont Otto l’aîné, un homme rustre, malveillant et fainéant. Malgré tous ses défauts, c’est lui qui va hériter du domaine familial, en vertu des lois de l’époque. Refusant de rejoindre les ordres religieux ou de travailler à la ferme pour le compte d’Otto, Raimund, le plus jeune de la fratrie, décide de fuir cette Allemagne obscurantiste pour rejoindre le pays de toutes les libertés, l’Amérique. Il s’installe dans les Bohemian flats, noue des liens, trouve un travail et demande à son frère, Albert Kaufmann, resté à la ferme en Allemagne aux côtés d’Otto avec femme et enfants, de le rejoindre en Amérique.
Un roman sur le déracinement, l’immigration, le droit à la différence, la transmission familiale et le poids du passé, qui va ressurgir de manière brutale et inattendue. Sur le racisme également :
« Les Anglo-Saxons ont toujours été comme ça depuis que j’habite ici, répond l’homme-ours. Pour eux, ceux qui viennent de pays situés à l’est de Paris sont des Polacks, des Boches, des Bohêmiens ou des sales Russes, assez bons pour travailler dans les manufactures et les usines mais pas assez pour s’asseoir à leur table ou être respectés comme n’importe quel Anglo-Saxon, homme ou femme. »
Un roman sur ces américains de la première génération, ceux issus de parents immigrés confrontés aux discriminations, qui vont prêter serment sous la bannière américaine en s’enrôlant volontairement aux forces armées du pays. Ce sera notamment le cas du fils d’Albert, parti combattre avec d’autres américains d’origines diverses. Et qui sera vite rattrapé par ces racines allemandes lorsque la première guerre mondiale éclatera.
« Ici au moins, il est parmi d’autres soldats américains d’origine allemande, aux noms allemands.[…]
Ce qu’il ne peut pas écrire, c’est cette question : les Américains le considéreront-ils toujours comme allemand une fois qu’il sera rentré et qu’il aura tombé l’uniforme ? »
« Bohemian flats » manque malheureusement d’un certain souffle, l’écriture n’est pas suffisamment travaillée, rendant parfois la lecture monotone. Certains portraits auraient également mérité un peu plus de profondeurs psychologiques. Mais Mary Relindes Ellis s’est visiblement bien documentée sur le sujet et arrive à donner vie aux habitants des « Bohemian flats », rendant un vibrant hommage à ces familles courageuses qui ont quitté leur pays d’origine pour construire ailleurs une vie meilleure.
Merci à Babelio et aux Editions Belfond pour m'avoir permis de découvrir ce roman en avant-première. Il paraitra en France le 30 janvier 2014.
Du même auteur, j’avais apprécié Winsconsin.
Malgré ton bémol, il me tente...
RépondreSupprimerD'ailleurs j'avais déjà repéré Wisconsin.....
J'ai préféré Wisconsin, plus émouvant. Mais la reconstitution des Bohemian flats vaut bien une lecture ;-)
RépondreSupprimerJ'avais beaucoup aimé "Wisconsin" et je n'avais pas encore entendu parler de cette nouvelle parution (et pour cause, puisqu'il ne sort qu'aujourd'hui). Je note tes réserves et j'attendrai pour le lire éventuellement de le trouver en bibliothèque.
RépondreSupprimerIl est loin d'être inintéressant mais nous restons comme en dehors, sans éprouver beaucoup de compassion ni d'empathie pour les personnages. Je me souviens par contre combien son premier roman, Wisconsin, m'avait beaucoup émue. En cela, je le trouve supérieur mais ce deuxième roman est néanmoins plus ambitieux par la richesse de son contexte historique.
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