ENFANT, le grenier de ma grand-mère me terrorisait.
LES cartons remplis de livres aux couvertures surannées, les tas de vieux draps qui ressemblaient à des fantômes dans l’obscurité et l’odeur de poussière qui prenait à la gorge, tout ça me mortifiait.
LE PIRE étant sans doute les poupées de porcelaine, avec leurs visages ébréchés, regroupées dans un coin tel un mausolée en mémoire de leur ancienne propriétaire, Éléonore, la fille défunte.
GRAND-MÈRE m’obligeait à passer la nuit dans le grenier si je faisais une grosse bêtise.
ELLE voulait m’éduquer à la dure.
Mon avis
Il y a quelque chose de cru, vif, nerveux et extrêmement frontal dans cette bande dessinée, et pas seulement au niveau du contenu, mais également dans les traits de dessin (à l'encre), tout en tension, dans les expressions très prononcées du visage des personnages et dans la mise en page, changeante et très fluide à la fois. La grande réussite de Matthias Lehmann est de nous amener vers une histoire qui se rapproche du conte horrifique pour mieux frôler des points de détails extrêmement réalistes, au point où le lecteur se demande finalement si cette histoire ne s'est pas réellement passée, ce qui rend le malaise encore plus palpable. Et si nous sommes rarement dans la compassion et encore moins dans l'attendrissement (l’auteur se garde bien d’utiliser cette carte-là), nous sommes presque continuellement dans le questionnement, le doute et la violence quotidienne des rapports humains, quels qu’ils soient. Une très grande richesse thématique traverse le récit, au point qu’il serait fastidieux de tous les énumérer (la folie, l’identité, la filiation, la sexualité, le racisme, la différence de classe, le conformisme, la complicité qui passe par la lâcheté, pour ne citer que ceux-là). L'enfance séquestrée et confisquée (ce qui n’empêche pas la fuite dans le monde imaginaire) mais dénuée de tout sentimentalisme ou d’angélisme, avec toute la cruauté, l’intolérance et la dureté que les enfants expriment également entre eux. C’est pathétique et tragique en même temps, loufoque quelquefois, souvent noir, cinglant et parfois si réaliste. Une très grande réussite.
Un conseil : ne lisez pas les résumés qu’on trouve sur internet avant votre lecture, le présent tome n’en comporte pas et c’est très bien comme ça. Autant se laisser surprendre par le déroulement de l’histoire, car de trop nombreux comptes-rendus dévoilent d’emblée un élément majeur du récit, alors que Matthias Lehmann se garde bien de nous le faire connaître trop rapidement.
La favorite de Matthias Lehmann, Actes Sud BD, 2015
Quelle horrible grand mère. C'est censé parler de quelle époque ?
RépondreSupprimerSi je les traitais ainsi mes petits ne viendraient plus et ils auraient raison.
Très bonne question, car je me rends compte que je n'en fait pas mention dans mon billet. L'histoire se passe fin des années 70, avec un retour vers le passé, lorsqu'on mentionne l'histoire des "grands-parents" dans leur jeunesse.
SupprimerCette grand-mère est folle à lier.
Ça se voit à sa tête:-)
RépondreSupprimerLe dessinateur ne l'a pas loupée. Elle est franchement effrayante, mais tous ces portraits le sont un peu, même "La favorite" peut parfois montrer un visage qui fait peur.
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