« Ce n'était plus une rue mais un monde, un espace-temps de pluie de cendres et de presque nuit. Il marchait vers le nord dans les gravats et la boue et des gens le dépassaient en courant, avec des serviettes de toilette contre la figure ou des vestes par-dessus la tête. Ils pressaient des mouchoirs sur leur bouche. Ils avaient des chaussures à la main, une femme avec une chaussure dans chaque main, qui le dépassait en courant. Ils couraient et ils tombaient, pour certains, désorientés et maladroits, avec les débris qui tombaient autour d'eux, et il y avait des gens qui se réfugiaient sous des voitures.
Le grondement était encore dans l'air, le fracas de la chute. Voilà ce qu'était le monde à présent. La fumée et la cendre s'engouffraient dans les rues, explosaient au coin des rues, des ondes sismiques de fumée, avec des ramures de papier, des feuillets standards au bord coupant, qui planaient, qui voltigeaient, des choses d'un autre monde dans le linceul du matin. »
Ainsi débute ce roman, en cette matinée du 11 septembre 2001. Il y
a, dans la main de Keith, masqué de cendres, criblé d'éclats de verre et
revenu d'entre les morts dans l'appartement de
son ex-femme, Lianne, une mallette qui ne lui appartient pas et que
sa main de rescapé serre, mécaniquement, de toutes ses forces. Tandis
que Keith se rapproche et s'éloigne d'une autre femme
rencontrée dans l'enfer des tours, avant de décider de finir sa vie
assis devant une table de jeu dans le désert de Las Vegas, Lianne dérive
entre l'inquiétude que lui causent l'attitude farouche
et réticente de son propre fils, l'atelier d'écriture pour malades
d'alzheimer dont elle a la charge, l'Homme qui Tombe, ce performeur que
la police traque, la santé de sa mère qui vit depuis des
années une incompréhensible liaison avec un mystérieux Européen,
marchand d'art toujours entre deux avions, entre deux univers...
Récits éclatés et fragmentés à l’image des verres brisés des tours
jumelles ou du monde en morceaux apparu après les attentats du 11
septembre, Don DeLillo imbrique l’histoire de ses
personnages qui se télescopent dans le temps avec complexité et
habilité, demandant au lecteur de la patience et de la concentration
sous peine de se perdre avec les protagonistes dans le néant
et la confusion du monde. J’ai aimé ce parallélisme entre la
construction complexe de son récit faite de vies brisées et morcelées et
la déstructuration conséquente des attentats du 11
septembre, j’ai aimé la distance imposée par son écriture froide et
désincarnée. Mais le manque de linéarité du récit et la confusion qui
s’en suit risque aussi d’être dommageable à long
terme : je ne suis pas certaine d’en retenir grand-chose dans
quelques mois si ce n’est cette sensation de morcellement,
d’anéantissement, de perte d’identité et d’absence de repères. Ce qui
n’est déjà pas si mal finalement. Avec en prime une envie d’aller
voir plus loin en compagnie de l’auteur.
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