Avec Natalja Bondartsjoek, Donatas Banionis, Yuri Jarvet
Russie, 1972
Les recherches sur la planète Solaris, recouverte sur toute sa surface par un océan protoplasmique, n’a pas connu beaucoup d’avancée depuis sa découverte. A tel point que l'occupation de sa station orbitale d’observation se réduit aujourd’hui à seulement trois scientifiques. Un inquiétant message envoyé par le docteur Guibarian, l'un des trois scientifiques, renforce la décision des autorités d’envoyer Kris Kelvin en mission sur la station. Il devra déterminer s’il est encore nécessaire de maintenir la station en activité et découvrir ce qui se passe à bord.
A son arrivée, le plus grand désordre règne dans le laboratoire spatial. Kris Kelvin ne tarde pas à découvrir le suicide du docteur Guibarian et ne peut que s’interroger sur le comportement très étrange des deux autres scientifiques. Après une nuit passée à bord, il se réveille avec son épouse à ses côtés, alors qu’elle est décédée depuis plusieurs années. Il est visiblement en présence d’une force mystérieuse capable de donner vie aux rêves et autres souvenirs des occupants de la station pendant leur sommeil. Kris Kelvin se retrouve inévitablement confronté à son propre passé, envahi de remords et de culpabilité, dans la mesure où son épouse avait mis fin à ses jours après une ultime dispute…
Le film Solaris est l'adaptation du roman de science-fiction de l'auteur polonais Stanislas Lem. Le réalisateur se démarque quelque peu du roman, tant il s'intéresse moins à cette confrontation à l'Inconnu qu'à ses conséquences sur le plan psychologique, philosophique ou même spirituel d'un homme confronté à ses souvenirs, ses manquements et ses remords. Cet océan protoplasmique, vaste miroir qui absorbe les pensées des hommes pour mieux les reconstituer dans le réel, génère une sorte de "retour du refoulé", élément déclencheur d'un cheminement intérieur pouvant mener vers une meilleure connaissance de soi. Une évolution personnelle qui n'est pas sans souffrances et qui suscite de multiples questionnements mais qui peut conduire vers un apaisement et une liberté intérieure, en passant notamment par le pardon, la réconciliation et la prise de conscience.
Que donnerait à l'homme la libération du monde entier, si son âme n'était pas libre ?
George Santayana, cité par Andreï Tarkovski dans son journal
Je ne vous cache pas que Solaris est un film complexe et exigeant. Le réalisateur nous donne bien quelques indices pour mieux l'appréhender mais il faut aussi accepter le fait que certains éléments restent volontiers dans le flou : "Il
faut trouver, élaborer un principe qui permette d'agir sur le
spectateur d'une façon individuelle, qui fasse d'une image « totale » une
image « privée », comme c'est le cas en littérature, en poésie, en
peinture ou en musique. Et le secret me paraît être le suivant :
montrer le moins possible pour que, de ce « moins », le spectateur puisse
se faire lui-même une idée du « tout ». L'image au cinéma, selon mon
point de vue, doit être fondée là-dessus. (...) le principal n'est plus
le détail, mais ce qui est caché !" (Journal 1970 - 1986).
Cette volonté de ne pas tout dévoiler peut être vue comme une manière de reconnaître et d'accepter le mystère de la vie, de l'amour et de la mort. Car si l'homme peut donner un sens à son existence, c'est dans son aspiration à grandir intérieurement. Voir un film de Tarkovski, c'est aussi éprouver l'immanence divine, le panthéisme et le mysticisme du réalisateur, présents dans toute son œuvre (ce serait d'ailleurs intéressant de le comparer à Terrence Malick à ce niveau). Enfin, la lenteur du film peut également décontenancer le spectateur, mais c'est une manière pour le réalisateur de lui faire ressentir l'écoulement du temps qui passe, comme la sensation d'un instant d'éternité et de moment suspendu.
Je veux faire un film qu'on puisse comparer, de par sa profondeur, à un acte de vie.
Andreï Tarkovski dans Journal 1970 - 1986
Alors je ne sais pas si je vous ai donné envie de (re)voir ce film mais sachez que pour moi, regarder un film de Tarkovski est vraiment une expérience en soi, dans le sens du vécu et des sensations. Ceci dit, j'aime certains de ses films plus que d'autres, je pense notamment à L'Enfance d'Ivan, Andreï Roublev, Solaris ou Le Miroir. Quant à Nostalghia, son avant-dernier film et son premier film tourné en dehors de la Russie (en Italie, plus exactement), je l'ai trouvé d'une sincérité douloureuse et, de ce fait, assez éprouvant à voir. Mais il m'a marquée durablement, à sa façon.
La vérité se vit, elle ne s'enseigne pas ex cathedra.
Hermann Hesse, Le jeu des perles de verre
Quelques repères :
Extrait
: "Mon père a dit de Solaris qu'il était moins un film que quelque chose proche de la littérature. Du fait du rythme intérieur, imprimé par l'auteur, de l'absence de tous les ressorts usés et de l'immense importance des détails, qui jouent chacun un rôle très particulier dans la narration." (Journal 1970 - 1986).
Extrait : "C'est avant tout l'univers intérieur de l'homme qui m'intéresse." (Le Temps scellé).
Extrait : "C'est avant tout l'univers intérieur de l'homme qui m'intéresse." (Le Temps scellé).
Extrait
: "J'ai ressenti dans Stalker, peut-être pour la première fois, la nécessité de désigner avec précision et sans équivoque la valeur positive et centrale qui fait vivre l'homme. Dans Solaris, il s'agissait de gens perdus dans le cosmos et qui étaient obligés, bon gré mal gré, de gravir les degrés de la connaissance. Cette quête éternelle, imposée comme de l'extérieur de l'homme, est dramatique en elle-même, une source permanente d'inquiétudes, de privations, de souffrances et de désillusions, car la vérité finale est toujours hors d'atteinte. De plus, l'homme a été doué d'une conscience, ce qui signifie qu'il souffre quand ses actes enfreignent les lois morales, et en ce sens l'existence de la conscience est quelque chose de tragique. La désespérance accablait les héros de Solaris tout au long de leur quête, et la solution que nous leur proposions était assez illusoire : elle tenait en un rêve, celui de prendre conscience de leurs propres racines, celles qui lient à jamais l'homme à la Terre qui l'a engendré. Mais ces liens étaient déjà devenus pour eux irréels. (...) Dans Stalker, j'ai formulé certaines choses jusqu'au bout : l'amour humain est vraiment ce miracle qui peut effectivement résister à toute l'aride théorisation sur l'état désespéré de notre monde. Ce sentiment, c'est notre valeur positive commune et incontestable. Bien que nous ne sachions plus très bien comment aimer..." (Le Temps scellé).
Extrait : "Il me paraît aussi absurde d'évaluer le succès d'un film par le nombre d'entrées dans les salles. Car à l'évidence rien ne peut être perçu de façon univoque ou signifier une seule chose. Le sens d'une image artistique est nécessairement inattendu, puisqu'elle reflète le monde tel que l'a perçu une individualité à travers ses particularités. Et cette individualité, ou cette perception, est proche pour certains, infiniment lointaine pour d'autres. C'est ainsi." (Le Temps scellé).
Extrait : "J'ai attaché dans tous mes films une grande importance aux racines, aux liens avec la maison paternelle, avec l'enfance, avec la patrie, avec la Terre. Il était primordial pour moi d'établir mon appartenance à une tradition, à une culture, à un cercle d'hommes ou d'idées." (Le Temps scellé).
Extrait : "Il y a longtemps que je n'ai pas vu mon père. Moins je le vois, plus je m'ennuie de lui, et plus j'ai peur d'aller le voir.
[...]
Lui aussi souffre que nos relations soient ce qu'elles sont. Je le sais bien.
[...]
Mais je suis tétanisé, et incapable d'exprimer mes sentiments." (Journal 1970 - 1986 d'Andreï Tarkovski).
Extrait : "Moi, je sais ce que cela veut dire, ne pas voir son père. Et les enfants comprennent tout." (Journal 1970 - 1986).
Extrait : "Je voudrais enfin, pour clore ce livre, dévoiler un espoir caché. J'aimerais que tous ceux qui auront été convaincus par ces pages, même si ce n'est qu'en partie, et à qui je n'ai rien dissimulé, soient devenus maintenant pour moi comme des alliés, des âmes sœurs." (Le Temps scellé)
Extrait : "Il me paraît aussi absurde d'évaluer le succès d'un film par le nombre d'entrées dans les salles. Car à l'évidence rien ne peut être perçu de façon univoque ou signifier une seule chose. Le sens d'une image artistique est nécessairement inattendu, puisqu'elle reflète le monde tel que l'a perçu une individualité à travers ses particularités. Et cette individualité, ou cette perception, est proche pour certains, infiniment lointaine pour d'autres. C'est ainsi." (Le Temps scellé).
Extrait : "J'ai attaché dans tous mes films une grande importance aux racines, aux liens avec la maison paternelle, avec l'enfance, avec la patrie, avec la Terre. Il était primordial pour moi d'établir mon appartenance à une tradition, à une culture, à un cercle d'hommes ou d'idées." (Le Temps scellé).
Extrait : "Il y a longtemps que je n'ai pas vu mon père. Moins je le vois, plus je m'ennuie de lui, et plus j'ai peur d'aller le voir.
[...]
Lui aussi souffre que nos relations soient ce qu'elles sont. Je le sais bien.
[...]
Mais je suis tétanisé, et incapable d'exprimer mes sentiments." (Journal 1970 - 1986 d'Andreï Tarkovski).
Extrait : "Moi, je sais ce que cela veut dire, ne pas voir son père. Et les enfants comprennent tout." (Journal 1970 - 1986).
Extrait : "Je voudrais enfin, pour clore ce livre, dévoiler un espoir caché. J'aimerais que tous ceux qui auront été convaincus par ces pages, même si ce n'est qu'en partie, et à qui je n'ai rien dissimulé, soient devenus maintenant pour moi comme des alliés, des âmes sœurs." (Le Temps scellé)
Merci Sentinelle pour cette belle critique et ces citations bienvenues (j'aime beaucoup la citation de Santayana). Un film assez difficile comme tu le dis, mais qui marque par plusieurs images extraordinaires. Ces images vivent en nous ensuite. C'est la grande caractéristique des films de Tarkovski pour moi : nous faire ressentir quelque chose qui nous dépasse, quelque chose de spirituel, par des images qui restent avec nous. En tout cas, je peux te confirmer que tu m'as donné envie de revoir Solaris ! :)
RépondreSupprimerStrum
Cela faisait longtemps que j’avais envie de rendre hommage, à ma façon et humblement, à ce film. Je l’ai (re)vu à plusieurs reprises, tout en ayant à chaque fois le sentiment qu’il m’échappait d’une manière ou d’une autre, encore et toujours. Puis j’ai compris qu’il devait en être ainsi, et que je devais accepter de ne pas tout comprendre. Comme dans la vie.
SupprimerJe te rejoins totalement sur ce point : quand on adhère à son cinéma (j’ai une préférence pour ses films réalisés en Russie), c’est vraiment une expérience en soi tant on ressent (dans le sens du vécu) ses films bien avant de les comprendre. C’est une sensation unique, précieuse et très étrange à la fois, et en cela, Tarkovski restera toujours à mes yeux un réalisateur à part et essentiel.
Je suis en train de revoir toute son œuvre. Et je suis plongée dans ses écrits, dont son journal, depuis plusieurs semaines. Il est donc très présent en ce moment dans ma vie, et sa présence s'accompagne d'une certaine tristesse car c’était un homme torturé et extrêmement exigeant avec son art. C'était un homme qui a dû se battre constamment pour imposer ses choix sans compromission et je crois qu'il l'a payé de sa vie.
Quoi qu'il en soit, je suis ravie de t'avoir donné envie de le revoir :)
Honte à moi ! Je n'ai vu que la version avec George. Très exigeante aussi.
RépondreSupprimerJ'aimerais un Festival avec une rétrospective Tarkovski pour voir ses films au cinéma.
Et j'aimerais me retrouver dans cette navette spatiale et retrouver qui tu sais... après le reste je m'en accommoderait :-)
Il y a une rétrospective Tarkovski au festival de la Rochelle cette année :)
SupprimerJ'ai pensé à toi en revoyant ce film, me disant qu'il te toucherait forcément. Je t'ai vaguement parlé de mes angoisses et de mes cauchemars, et je crois que c'est aussi en cela que ce film a une telle résonance en moi. Je pense que je n'hésiterai pas une seconde, je resterai toute ma vie sur cette station si c'était le prix à payer pour ne pas perdre un être cher une seconde fois. Je ne te dévoile pas le film mais il est toujours question d'amour et de sacrifice dans les films de Tarkovski, et celui-ci ne fait pas exception à la règle.
Ah oui, si je n'avais qu'un seul conseil à te donner, c'est de voir les films du réalisateur dans l'ordre. C'est vraiment important car tu es de cette façon familiarisé à son "univers" constitué de motifs récurrents, et de ce fait mieux préparé pour aborder ses films plus complexes.
Ah la Rochelle... j'aimerais :-)
SupprimerOui payer un prix pour que ça n'arrive plus, je suis prête...
Rien que ses titres sont des voyages.
La sélection des films au festival de la Rochelle est vraiment excellente et le coin est plus que sympa. Seul bémol : les files d'attente ! Mais si tu n'y es pas allergique, cela vaut la peine d'y aller :)
SupprimerAh ! Un Tarkovski !
RépondreSupprimerTu me donnes grandement envie de le voir, Sentinelle ! Comme notre amie Pascale, je n'ai vu que le remake avec Mister Clooney. Revenir aux sources me paraît tout à fait essentiel. Surtout que, comme tu t'en souviens peut-être, j'ai pris la filmo de ton ami Andreï à l'envers. Pas facile, cependant, de trouver des occasions de voir ses films... et notamment celui-là, qui me tente donc beaucoup.
Bonne fin de week-end à toi, amie cinéphile !
Je m'en souviens très bien, d'autant plus que je t'avais conseillé de les voir dans l'ordre. Mais je comprends bien qu'il n'est pas évident de trouver les occasions de les voir et tu as eu finalement l'opportunité de voir son dernier film, le seul que je n'avais pas encore vu par ailleurs à cette époque :)
SupprimerJ'ai mis du temps à voir ce fameux dernier film de Tarkovski (j'ai le syndrome écureuil avec mes coffrets DVD, c'est presque pathologique mais j'aime me dire qu'il me reste encore à voir tel ou tel film) et... comment dire... et bien je suis très contente de ne pas avoir commencé sa filmographie à l'envers, car ma rencontre avec le réalisateur n'aurait pas été du tout la même. Disons que Tarkovski chez Bergman, ce n'est plus tout à fait le Tarkovski que j'aime.
Reste une dernière séquence émouvante, cette maison en flamme offerte en holocauste. Quand on connait l'attachement du réalisateur à tout ce qui se rattache à la maison de campagne, souvent présente dans ses films (et dans lesquelles il pleut bien souvent, ce sont des maisons poreuses qui pleurent), et savoir que ce sont ses dernières images avant sa mort, c'est interpellant.
Très bonne fin de week-end à toi également, cher ami cinéphile !
On a toujours une bonne raison de revoir "Solaris". La lecture de ce très bel article, richement agrémenté de citations éclairantes, en est une parmi d'autres.
SupprimerJ'imagine bien que la lecture du journal de Tarkovski n'autorise aucunement l'impasse sur une nouvelle vision de ses films, du premier au dernier. Une anthologie dont il me reste encore bien des titres et des chapitres à visionner.
Merci pour le compliment :) Il ne s'est pas fait en un jour, je l'ai complété au fur et à mesure de mes lectures. Disons que les lectures permettent de mettre quelques pièces du puzzle en place, mais elles ne dispensent absolument pas d'une nouvelle vision de ses films, effectivement. Ses films sont d'une telle richesse qu'on peut toujours y revenir et voir d'autres choses, tant le réalisateur ne nous prend jamais par la main et nous laisse la possibilité de vagabonder selon notre bon vouloir.
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