Entre les murs d’une sombre bâtisse, Madame Tord et ses cinq enfants subissent quotidiennement la tyrannie d’un patriarche en mal de reconnaissance. Comme chaque jour, après le déjeuner de huit heures du matin dans la salle à manger où l’attendent ses cinq enfants, Monsieur Tord s’enferme dans son bureau en claquant la porte derrière lui. Les enfants sont priés de demeurer silencieux : le père travaille. Et gare à celui qui dérangera le père, jamais avare de coups de fouet, de gifles ou de coups de pied. Sur les cinq enfants, seuls Ludegarde, Alban et la petite Barbe, plus indépendants, tentent d’échapper à l’atmosphère oppressante de la maison Tord. Ce qui n’empêche pas chacun d’être emmuré dans un silence et une grande solitude : peu de paroles échangées et beaucoup de non-dits, d’incompréhensions, de tyrannies contagieuses. Si la communication ne passe pas par le langage, il passe par la violence des corps, la rudesse, dans le décryptage des silences aussi. L'arrivée du jeune cousin violoniste ne changera rien à cet état de fait :
Elle ressentait pour ce garçon taciturne une attirance étrange. Lorsqu’elle était éloignée de lui, elle voulait le voir. Lorsqu’ils se trouvaient ensemble, elle aimait le blesser, mais elle parvenait rarement à constater la profondeur des blessures provoquées, car Ur ne laissait jamais transparaître la moindre émotion sur son visage.
L'une des manières de fuir cette ambiance sourde sera de se réfugier dans un monde imaginaire aux dimensions insolites. Pourtant les événements auront raison de chacun d'eux : la mort accidentelle de la petite Barbe, la fuite de Ludegarde qui cherche à se délivrer des « marais » de son enfance, la départ d’Alban auprès d’une jeune femme rencontrée au hasard de ses fugues, tout cela parviendra à briser leur rêve de liberté et l’univers visionnaire qu’ils s’étaient créés. Irrésistiblement, la maison Tord les ramènera, vieillis et désenchantés, entre ses murs.
Ce roman possède une atmosphère toute particulière, on a parfois l’impression d’être transportée dans une sorte de rêve éveillé qui nous plonge dans une ambiance onirique, à l’orée du fantastique, du symbolisme et du conte. Il a même exercé sur moi une sorte d’aura hypnotique très étrange qui me poussait à tourner les pages les unes à la suite des autres, sans pouvoir me détacher de ma lecture avant sa fin. Un roman sur l’enfance meurtrie, sur la difficulté d’être à la fois à ce point unis et déchirés à l’intérieur d’une famille de laquelle on ne peut fuir.
Extrait de l'avant-propos du roman par Dominique Rolin
Lettre imaginaire à l'auteur de ce livre
Tu as vingt-neuf ans en 1942 lorsque paraît ton premier roman, composé quatre ans plus tôt d'un seul trait. Je n'ai jamais désiré le relire. Je ne relis jamais aucun de mes livres d'ailleurs : j'éprouve à leur égard la plus grande méfiance. Je les laisse se ranger d'eux-mêmes hors des contraintes de ma mémoire, là où ils peuvent sommeiller ou s'agiter librement : leur existence ne dépend plus de ma volonté d'écrivain.
Quatrième de couverture
Il y a des familles sur lesquelles le malheur et la fatalité pèsent plus lourd que sur d’autres. Car le drame qui se joue au sein de la maison Tord est le pire de tous : celui qui se répète de génération en génération, imperceptiblement, sans répit.
Quelques mots sur l'auteur Dominique Rolin
Dominique Rolin est un écrivain d’origine belge née en 1913 à Bruxelles et décédée en 2012 à Paris. Auteur prolifique, Les marais est son premier roman, écrit entre 1939 et 1940. Il fut publié pour la première fois sous forme de feuilleton dans la revue Cassandre, avant d’être remarqué par l’éditeur français d’origine belge Robert Denoël, qui transmettra les épreuves à ses amis Jean Cocteau et Max Jacob, rapidement tombés sous le charme de la finesse et de la qualité surprenante de son écriture. Il sera d’ailleurs vite publié aux Éditions Denoël en 1942. Cette première publication lance sa carrière littéraire et lui permet de s’installer définitivement à Paris à la fin de la guerre. Elle publie par la suite un roman tous les deux ans et reçoit le prix Femina en 1952 pour Le Souffle. Elle est également élue en 1988 à l'Académie Royale de Belgique, où elle succède à Marguerite Yourcenar en qualité de membre étranger, ayant adopté la nationalité française. Elle publie près d'une quarantaine d'ouvrages parmi lesquels : Le Lit (1960, Denoël) ; Trente ans d'amour fou (1988, Gallimard) ; La Rénovation (1998, Gallimard) ; Journal Amoureux (2000, Gallimard). Les thèmes récurrents de Dominique Rolin sont la mort, le drame familial, l'amour, le couple et la solitude. Le Grand Prix Thyde Monnier de la Société des gens de lettres pour l’ensemble de son œuvre lui est décerné en 1991.
Les marais de Dominique Rolin, Éditions Luc Pire, Collection Espace Nord, Août 2008, 233 pages.
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