mardi 26 août 2014

D. de Robert Harris

Le romancier britannique revient sur l’affaire Dreyfus en adoptant le point de vue du narrateur principal, à savoir l’officier de l’armée française Georges Picquart, un ancien instructeur d’Alfred Dreyfus qui assistera à la condamnation du capitaine pour espionnage à la solde des allemands. Suite à cette affaire, Georges Picquart sera promu colonel de l’armée française et prendra la tête de la section statistique du service des renseignements, celle-là même qui avait traqué Dreyfus en fournissant les preuves de sa culpabilité.

Cet homme brillant, intelligent, carriériste mais non dénué d'humour, est aussi un homme droit, juste et impartial. Et lorsqu’il découvre les preuves que l’espion opère toujours et que Dreyfus a été injustement accusé à sa place, et ce à l’aide de la complicité des plus hautes autorités de l’armée française, il n’aura de cesse de vouloir rétablir le capitaine Dreyfus en prouvant son innocence.

Tout le monde connait, du moins dans les grandes lignes, l’affaire Dreyfus et les relents antisémites de cet affreux scandale politique. La lecture de certains passages de la correspondance de Dreyfus permet de toucher du doigt toute l’atrocité et la souffrance engendrées par cette condamnation arbitraire. Mais on découvre ici un homme extraordinaire, le colonel Picquart, un homme stupéfiant qui ne peut que forcer notre admiration en prenant la défense d’un homme que tout le monde avait condamné avec presque exaltation, comme si « tout le mépris et les récriminations accumulés depuis la défaite de 1870 » avait trouvé « un exutoire en ce seul individu », un juif solitaire et peu sympathique, parlant français avec l’accent allemand. Contre l’avis des plus hautes autorités, qui veulent à tout prix étouffer l’affaire, le colonel Picquart mettra en péril sa carrière, sa vie privée, sa santé et risquera jusqu’à sa vie lorsque ses supérieurs l’enverront en mission suicide dans l’espoir de s’en débarrasser.

Si ce roman est extrêmement bien documenté, il se lit véritablement comme une enquête policière  : passionnant de bout en bout, révoltant, touchant, inquiétant, il se paye même le luxe d’introduire quelques touches d’humour bienvenues pour alléger le sujet. Le colonel Picquart méritait bien cet hommage vibrant.


le colonel Picquart


Extrait :

Les murs de mon bureau semblent s’évanouir ; j’entends le fracas et le rugissement incessants des vagues contre les rochers en contrebas de la case qui lui sert de prison, les cris étranges des oiseaux, le profond silence de la nuit tropicale brisé par le martèlement continuel des sabots des gardes sur le sol de pierre, et le bruissement des araignées-crabes venimeuses qui courent sous le toit ; j’éprouve la chaleur étouffante de la fournaise saturée d’humidité, la brûlure des piqûres de moustiques et des morsures de fourmis, la violence des maux de ventre et des migraines aveuglantes ; je respire la moisissure de ses vêtements et de ses livres rongés par l’humidité et les insectes, la puanteur de ses latrines et de la fumée épaisse qui le fait pleurer dès qu’il parvient à allumer un feu de bois vert et mouillé pour cuire ses aliments ; et surtout, je suis atterré par sa solitude.

D. de Robert Harris, traduit de l’anglais par Natalie Zimmermann , Éditions Plon/Feux croisés, 5 juin 2014, 488 pages.

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